Il avait troqué les projecteurs pour la lumière tamisée d’un cabinet dentaire, sans jamais renier sa passion originelle. Frankie Jordan, pionnier discret mais essentiel du rock français, s’est éteint à 86 ans. Avec lui, c’est un pan de la génération Yéyé qui tire sa révérence, dans la douceur d’une époque révolue.

Claude Benzaquen, plus connu sous le nom de Frankie Jordan, est décédé le mercredi 4 juin 2025 à Neuilly-sur-Seine, emporté par un cancer. Il laisse derrière lui une empreinte singulière dans le paysage musical français, celle d’un artiste aux multiples talents, qui avait su concilier deux vocations : la musique et la médecine. Né en 1938 à Oran, il avait grandi au rythme du jazz et du blues, admirateur de Fats Domino et pianiste passionné, avant de devenir l’un des premiers visages du rock made in France.
Une carrière éclair, mais marquante
Tout commence en 1960 lorsqu’il est repéré par Daniel Filipacchi de Decca Records. Frankie Jordan enregistre alors Tu parles trop, adaptation française de You Talk Too Much. Le succès est immédiat, et le jeune musicien enchaîne les reprises de tubes américains, adaptés avec finesse au goût du public français. Mais c’est en 1961 qu’il entre dans la postérité, en formant un duo inattendu avec une toute jeune Sylvie Vartan sur Panne d’essence. Cette chanson, version française de Out of Gas de Floyd Robinson, devait initialement être interprétée avec Gillian Hills. Le destin en décide autrement.
Un duo mythique avec Sylvie Vartan

La collaboration entre Frankie Jordan et Sylvie Vartan, alors quasi inconnue, devient un véritable tremplin pour la carrière de la future icône Yéyé. Le titre fait un tabac, et leur duo entre dans l’histoire de la chanson française. En quelques mois, Frankie Jordan devient une figure emblématique du mouvement naissant, aux côtés de Johnny Hallyday, Richard Anthony ou Eddy Mitchell.
Il participe au premier festival international de rock à Paris et figure en bonne place, en 1966, sur la célèbre photo du siècle du magazine Salut les copains, entouré de 45 légendes de la chanson.
Un choix de vie audacieux : quitter la scène pour soigner

À l’inverse de nombre de ses contemporains, Frankie Jordan fait un choix radical en 1963 : il abandonne sa carrière musicale, pourtant florissante, pour se consacrer entièrement à la chirurgie dentaire, son autre passion.
Il exerce à Paris, devient professeur à la faculté de Montrouge, et s’impose dans son domaine avec le même sérieux et la même élégance que sur scène. Un tournant inattendu, mais profondément respecté. Loin du star-system, il restera toujours un homme de simplicité, apprécié pour sa discrétion et son humanité.
Une reconnaissance tardive mais bien méritée

Son parcours exceptionnel lui vaut d’être fait chevalier de la Légion d’honneur en 1996 et officier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2005. Ces distinctions saluent l’apport d’un pionnier au patrimoine musical français, bien que son nom soit moins connu du grand public que ceux des vedettes qu’il a côtoyées. Pour les passionnés, cependant, Frankie Jordan reste un symbole d’élégance musicale, de choix assumés et d’une époque où le rock s’écrivait en français, avec le cœur.
Des adieux dans l’intimité, mais une mémoire vivante
C’est son fils Nicolas qui a annoncé la triste nouvelle à l’AFP, précisant que les obsèques auront lieu dans l’intimité familiale, le jeudi 5 juin au cimetière de Bagneux. Depuis, les hommages affluent, notamment sur les réseaux sociaux où des artistes et anonymes évoquent leurs souvenirs, leur admiration, et la nostalgie d’une époque révolue. L’un d’eux écrit : « Seuls les anciens s’en souviendront… mais il fut l’un de nos pionniers du rock. Sa simplicité en faisait un homme sympathique. »